Comparatiste, Malraux montre donc, dans L’Intemporel, deux lavis de Sesshû : son Paysage d’hiver squelettique, vis-à-vis d’un paysage brumeux « hypnotisant », Coucher de Soleil sur un Village de Pêcheurs (une des Huit Vues de Hsiao-Hsiang) de Mou-K’i, grand peintre des Song ; un Paysage de style cursif de Sesshû vis-à-vis d’un paysage tachiste, Village dans le brouillard (une des Huit Vues de Hsiao-Hsiang) de Ying Yu-Kien, peintre des Song, fondateur de ce style. Malraux saisit parfaitement les caractéristiques de Sesshû. Si le peintre japonais montre sa solide construction avec son Paysage d’hiver, il continue le style cursif d’un peintre des Song avec une parfaite maîtrise. On comprend pourquoi Malraux déclare dans une conférence sur «La Métamorphose de l’art» donnée au Japon, à l’auditorium du quotidien Asahi, le 17 mars 1974 : « Aux lavis célèbres par lesquels les Japonais reconnaissent en Sesshû leur Poussin et un peu leur Cézanne se sont ajoutés ceux où il continue le tachisme aigu de Ying Yu-Kien ».
Le Style de Sesshû

Sesshû : L’été – domaine public
Quel est le style de Sesshû ? Sesshû est-il cézannien ?
Sesshû est presque iconoclaste. Son trait est «rude et brisé», son paysage est «personnaliste», caractérisé par le principe de la «verticalité». Le premier défenseur occidental de l’art japonais ancien Fenollosa écrit : « Le style de Sesshû est tout à fait capital dans l’Art de l’Extrême-Orient. Son importance réside surtout dans le trait […]. Son trait est rude et brisé, comme si sa brosse avait été intentionnellement faite de poils de sanglier irrégulièrement liés».28 L’orientaliste René Grousset résume les traits de Sesshû : « Chez Sesshû… le paysage reste personnaliste, en ce sens que c’est l’homme qui en choisit les éléments, qui les marque de son sceau, qui leur communique sa force, sa volonté, son élan…». L’historien de l’art Akiyama approuve dans son livre La peinture japonaise (1961), le rapprochement fait par René Grousset de Sesshû et de Cézanne, parce que Sesshû a ouvert des voies nouvelles à la peinture japonaise. Selon l’historien de l’art Kumagai, grand spécialiste de Sesshû, le principe de « verticalité », qui caractérise aussi l’art de Cézanne, domine toute la composition de ce grand maître japonais du XVe siècle. Depuis les années 1930, beaucoup de critiques d’art japonais comparent la construction solide et minérale de Sesshû avec celle de Cézanne. Pour la « verticalité », certainement Malraux aurait pu comparer le paysage de Cézanne et le Paysage d’hiver de Sesshû. Selon le témoignage de Tadao Takemoto, en 1960, l’écrivain a trouvé dans la ligne verticale de ce paysage de Sesshû ce qui détruit l’«arabesque » de l’estampe japonaise. Malraux nomme la ligne verticale de Sesshû la « brisure ». Mais on sait qu’il a finalement trouvé en 1974 le chef-d’œuvre de « verticalité », La Cascade de Nachi, beaucoup plus significatif que le lavis de Sesshû. Il s’agit de « la verticale, qui détruit en même temps l’arabesque et la brisure ».
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