Sesshû est né en 1420 à Akahama, province de Bichu, dans une famille de samurai pauvres du clan Oda.

Afin de lui assurer un avenir et peut être pour calmer un peu son caractère dissipé, il fut placé à l’âge de 12 ans au monastère Zen Hôfuku-ji à Issan près de son village natal, et peu de temps après au Shōkoku-ji.

Sesshû reçoit l’enseignement Zen du moine Shunrin Shûtô en même temps qu’il est initié à la peinture par les moines-peintres Shûbun et, à travers lui Jôsestsu. Très rapidement, sa préférence va à la pratique de la peinture, se pliant difficilement aux rituels très codifiés du Zen. Il y apprend également la langue chinoise. Par une présence sociale attrayante et d’excellentes qualités artistiques, il reçoit le titre de shika, chargé de s’occuper des visiteurs et de jouer le rôle d’assistant dans les transactions commerciales.

Peu d’informations sont disponibles sur sa période de jeunesse, mais il en ressort un caractère plutôt difficile et indiscipliné, versatile, une constitution robuste, une santé de fer et en aucun cas la mentalité d’un ermite ou d’un reclus, appréciant la compagnie et les fêtes. Il est quelquefois surnommé le « titan de la peinture » en référence à sa puissance de travail. Pendant son séjour au Shôkoku-ji il se rapprocha des moines du Tôfuku-ji, Ryôan Keigo et Kôshi Eho qui avaient beaucoup d’admiration pour lui. Grâce à eux on dispose de nombreux textes décrivant son caractère, son mode de vie et sa façon de peindre. Ses nombreuses œuvres sont faciles à tracer et à identifier car elles sont signées, ce qui était une pratique rare à l’époque. Il est le peintre auquel on a pu attribuer le plus gros volume de peintures pendant la période des Ashikaga.

 

Il ne fut pas seulement moine Zen et peintre de paysages, il fut aussi un poète accompli et un créateur de jardins paysagers.
En rapport étroit avec les réseaux commerçant avec le continent, il était également collectionneur et expert en œuvres d’art.
Ce que l’on sait de lui c’est qu’il fut le premier peintre à se détacher de l’Académie, rompant avec la tradition pour développer son propre sens artistique.

Sesshû qui souhaite se rendre en Chine réalise que le seul moyen pour lui de réaliser son rêve est de se rapprocher des seigneurs de l’Ouest qui entretiennent un commerce important avec le continent.

Sesshû s’installe à Suô, y établissant son premier atelier qu’il nomme Unkoku-an ” la Vallée des Nuages”. Il se consacre à l’étude et à la pratique de la peinture. La nature environnante avec ses gorges, ses cascades, ses rochers et ses drapés de nuages est source d’inspiration pour Sesshû. Sa créativité s’exprime aussi dans la réalisation de jardins pour les temples environnants et les propriétés du seigneur Ôuchi. Il les conçoit comme des peintures.

Après de nombreuses tentatives infructueuses, il finit par faire partie d’un voyage et met enfin le pied sur le sol Chinois.
Pendant son séjour à Pékin il s’inscrit à l’Académie de Peinture où il étudie pendant six mois. Remarqué pour ses aptitudes et apprécié par les peintres chinois, il peint pour la décoration de certains bâtiments ainsi que pour l’empereur des Ming qui loue son talent, ce qui augmentera encore sa renommée à son retour au Japon. Il découvre la pensée néo-confucianiste de Zhu-Xi. Il en sera fortement influencé jusqu’à la fin de sa vie.

À son retour de Chine, deux ans plus tard, il s’installe dans l’actuelle province de Ôita à Kyûshû où il construit son  deuxième atelier qu’il nomme “Tengaitogarô, le Pavillon des Peintures ouvrant sur le Ciel”, d’où il peut contempler la mer. Il se consacre à sa recherche spirituelle par la peinture, passant au travers de réelles difficultés pour intégrer dans son identité japonaise les techniques apprises en Chine.

Peintre polyvalent ayant appris la peinture de portraits, fleurs et oiseaux et tous les thèmes classiques, il se consacre surtout à la peinture de paysage, au sansui (shanshui en chinois), la peinture de Montages et Eaux.

Fidèle à sa démarche et  pour mieux comprendre à la fois ” le principe intérieur des formes” et la façon dont l’esprit rentre en relation avec l’univers selon la philosophie Zen, il cherche le contact direct avec la nature qu’il prend finalement “comme seul maitre” et devient peintre errant, parcourant le pays tout entier pour s’imprégner de l’âme de ses paysages et exprimer dans ses peintures l’évolution de sa pensée.

Totalement centré sur sa recherche, il sillonne le Japon tout au long de sa vie, en croquant les paysages qu’il rencontre.
Il visite de nombreux temples et fait de nombreux pèlerinages. Sa pratique du zazen et ses voyages lui assurent une parfaite santé, une constitution robuste et une grande force de caractère, signes qui apparaissent dans ses traits. Il travaille beaucoup, fait de nombreuses tentatives cherchant à découvrir de nouvelles sensations dans les encrages, l’épaisseur, les directions, la vivacité des traits, les compostions.

Dans les dernières années de sa vie il réalise quelques portraits religieux. Son style est affirmé,  reflétant parfaitement sa compréhension des grands principes de l’univers.

Toute sa vie fut consacrée à la recherche de la véritable nature de la création et à la représentation de ce souffle primordial qui anime chaque élément dans le visible et dans l’invisible.

Ses peintures révolutionnent la peinture japonaise et la modernisent. Maître dans l’art du lavis il est à l’origine de la peinture sumi-e au Japon, inspirateur de peintres comme Hasegawa Tôhaku ou Miyamoto Musashi.

Il est considéré comme un des meilleurs peintres de l’histoire du Japon et vénéré dans son pays comme une légende. On raconte ainsi que lorsqu’il était enfant, il fut puni pour indiscipline et attaché à un poteau. Il utilisa alors ses larmes comme encre et son pied comme pinceau pour dessiner des souris. Celles ci prirent vie et vinrent ronger ses cordes pour le libérer. André Malraux, grand admirateur de Sesshû s’inspira de cette légende pour choisir le titre de son ouvrage :” La corde et les souris”.

Lors de son apprentissage, ses préférences vont à des peintres chinois dont le style se caractérise par peu de coup de pinceau et par une recherche spirituelle basée sur l’expression de l’essence de la nature et du mystère de la création.

Sesshû peignit tous les jours depuis l’âge de 12 ans jusqu’à la fin de sa vie. Il est difficile de décrire chez lui une progression linéaire dans son passage de la copie à la créativité. La plupart des peintres s’attachent à un mode d’expression particulier, copient des modèles et continuent à développer un style qui deviendra le leur. Sesshû que l’on a qualifié de versatile, développa plusieurs styles et dans chacun il atteignit une maîtrise exceptionnelle. Dans sa pratique de la peinture, il avait alors la possibilité de “jongler” de l’un à l’autre avec une aisance remarquable, choisissant son style en fonction du thème de la peinture qu’il désirait réaliser, du format, de la personne à qui elle était destinée ou de la commande qui lui était faite.
En peintre polyvalent qu’il était, Sesshû pouvait passer d’un thème à l’autre avec la plus grande facilité tout en réalisant des peintures de grande qualité. Mais son développement suit un chemin spirituel qui lui, va en droite ligne vers son but, celui de l’union avec les principes de l’univers. Cette voie commence par la perception de la nature par la copie, d’abord de modèles des peintres qui l’ont précédé, puis de la nature elle-même, en direct, tout au long de ses multiples voyages.
Pour les peintres Zen, peindre les changements de la nature au fil des saisons, symbolisait les mutations de l’homme dans le Grand Tout.
Sesshû reprendra ce thème plusieurs fois, notamment dans son Grand Rouleau Paysager.

Sesshû aurait conçu ce long rouleau paysager de 16 mètres de long comme une sorte de “catalogue” réunissant tous les caractères des peintures de paysages chinois qui l’avaient marqué, à l’usage des étudiants et des peintres confirmés ainsi que des nobles qui affluaient de toutes parts pour visiter son atelier. Par ses qualités exceptionnelles il servit de modèle à de nombreux étudiants de peinture suibokuga et il resta propriété de l’école Unkoku durant plusieurs générations comme témoignage de la lignée directe avec Sesshû.

Le génie de Sesshû réside dans sa composition. Il réussit à réaliser de longs paysages tout en conservant l’équilibre et la balance dans la totalité du paysage.

Si l’on observe attentivement ce Long Voyage, il semble que le rouleau se divise en une dizaine de sections d’environ 1,50 mètres dans lesquelles se retrouvent les mêmes éléments de composition (groupe de trois arbres sur des rochers par exemple). Mais ils sont traités de façons tellement différentes que cela ne se remarque pas. L’harmonie de l’ensemble, la circulation des souffles, l’équilibre entre les éléments et les mouvements sont tels que quelque soit l’endroit où l’on décide de s’arrêter de dérouler, il semble que l’on contemple un paysage dans sa totalité.
La représentation des détails de la vie quotidienne comme un témoignage de la vie humaine fut probablement une source d’inspiration pour les grands peintres d’estampes de la période Edo.

 

Dans le “Paysage à l’encre éclaboussée” connue comme étant le Testament de Sesshû destiné à son principal disciple, il utilise la technique du haboku.

Rendre en toute spontanéité la ligne de force correcte, le mouvement juste, la bonne circulation de l’énergie dans un seul trait représentant une montagne ne peut se faire que lorsqu’il y a en plus de la connexion à son être intérieur, une parfaite maîtrise du pinceau et de la trace qu’il peut laisser.
La suggestion poussée au maximum se situe à la frontière avec l’abstrait.
Dans cette représentation minimaliste, le curseur se place à la limite de la tache par un trait figurant une branche, deux ou trois traits figurant le toit d’une maison, ou une simple bannière.  Cela suffit à orienter le spectateur dans son futur voyage au travers de la peinture alors que dans l’abstrait le spectateur choisira lui même le thème et la direction de ce voyage.
Après avoir tellement observé la nature, tellement cherché avec son pinceau à faire jaillir sur le papier l’énergie de la création, le principe de l’univers, il semble y parvenir dans les peintures haboku. Habitué à la vigueur du coup de pinceau, à la force qui émane des traits, à la maîtrise des encrages, il réalise une œuvre qui paraît toute en spontanéité, témoignage de l’oubli de soi, de la dilution de toute chose dans le vide chargé de tous les potentiels. Cependant si l’on prend le temps l’observer attentivement cette œuvre on ressent derrière cette spontanéité une action réfléchie et dotée d’un grand sens de la composition. La peinture oscille constamment entre réalité et abstraction. Il faut un long moment d’observation pour coordonner les coups de pinceau et les lavis afin de créer une image cohérente.
Nous sommes les témoins du talent d’alchimiste de Sesshû, mélangeant et diluant son encre pour obtenir toute une gamme de tonalités qu’il dispose avec harmonie dans son paysage.
La magie de la fluidité de l’eau n’a jamais été évoquée de manière aussi éloquente. De plus, l’exécution de la peinture est pensée avec soin, depuis la rapidité avec laquelle sont appliquées les différentes couches, jusqu’à la composition architecturale de l’ensemble.

 

 

Sur la fin de sa vie, Sesshû se rapproche des principes taoïstes. Il sent le temps qui passe et se pose des questions sur le temps et sur l’éternité. Il éprouve le besoin de revenir à des portraits de figures religieuses.

Son œuvre religieuse la plus connue reste Hui Ke offrant son bras à Boddhidharma

Sesshû réalisa cette peinture à l’âge de 77ans. Le lien entre ces deux protagonistes est bien connu des adeptes du Zen. Hui Ke, le deuxième patriarche vient voir Boddhidarma pour

entendre son enseignement. Il cherche un maître « capable de libérer l’élixir de la compassion universelle afin de sauver tous les êtres sensibles », mais l’ermite l’accuse de manquer de sincérité et de sagesse, d’être superficiel et arrogant. Huike se tranche alors le bras gauche en gage de sincérité.
Sesshû représente Daruma (Boddhidarma) en méditation les yeux fixés sur la paroi rocheuse d’une grotte. Hui Ke, enfoui dans la neige jusqu’à la taille attend que le maître lui prête attention tenant son bras tranché.

Comme dans chacune de ses peintures, quelque soit le thème, Sesshû imprime sa foi dans le concept du Zen, mais rarement aussi directement et aussi profondément.
L’attitude de Boddhidarma dégage toute l’intensité de la méditation, l’empêchant de détourner son regard sur Hui Ke. Celui ci cherche à attirer l’attention du méditant et commet cet acte extrême. Toute la puissance de la peinture tourne autour de l’acuité du regard de Boddhidarma, en résonance avec les anfractuosités du rocher semblables à des yeux. Elle se répercute sur celui de Hui Ke qui exprime la souffrance.
L’union des deux personnages passe au delà du corps matériel.
C’est par le regard qu’il porte sur la nature que l’homme peut accéder à sa propre transformation. La nature seule est source vérité. Mais pas par le regard superficiel qui s’arrête aux formes.

Celui qui va au delà, qui perçoit le vide créateur entre celui qui regarde et ce qu’il regarde.
Celui qui comprend la circulation des souffles. La nature nous enseigne la vérité car la nature est vraie dans sa beauté et sa laideur, dans sa violence et sa douceur, dans son impermanence et son éternité.

                                                                                                                                                                    Amanohashidate

 

Cette œuvre particulière ne représente pas un paysage imaginaire. Elle fait partie des “cartes” que Sesshû a peintes, paysages réels, décrits avec précision. Il s’agit de l’un des trois plus beaux paysages du Japon. Le site Amanohashidate “Le Pont du Ciel”, sur la baie de Miyazu au nord de la préfecture de Kyoto, sur la mer du Japon.

Cette peinture en vision aérienne détaille avec soin le paysage, le village de Fuchû et les temples situés dans les montagnes, le temple  Chionji avec sa pagode à deux étages construite en 1501 et le temple Narinaiji qui brûla en 1507. Ces détails ont permis de la dater avec précision. Sesshû la réalisa dans sa 81e année. Pour atteindre le point de vue d’où il contemple le site, il a dû parcourir à son âge avancé un itinéraire très difficile ce qui prouve encore une fois sa constitution robuste.

Cette œuvre est une synthèse du travail de Sesshû dans l’absorption des styles des Song, des Yuan, des Ming et du développement de son propre style fondé sur son caractère, sa sensibilité, son identité japonaise et une incroyable confiance en soi.
Si l’essence du paysage japonais est rendue grâce à une technique purement chinoise, elle est l’aboutissement de la japonisation que Sesshû a recherché durant toute sa vie et qui a fait de lui un précurseur dans l’histoire de la peinture japonaise.
Le spectateur qui contemple ce tableau, réalisé selon des techniques traditionnelles séculaires, se trouve emporté dans un souffle de modernité.

Comme pour la peinture de Hui Ke, Sesshû vit les changements qui se produisent dans son pays. Il s’attache à l’observation de tout de qui l’entoure afin de mieux comprendre ce qui arrive et mieux faire face à ses souffrances. Et cette observation l’entraîne au plus profond des choses, à l’essentiel.
La composition, les tonalités, la précision des coups de pinceau en font une œuvre remarquable dans sa force et sa simplicité. Le site est décrit de façon précise, par des traits de pinceau vigoureux. Les tonalités foncées donnent de la robustesse, tandis que le brouillard qui enveloppe les montagnes de son humidité apporte douceur et mouvement à l’ensemble. Le spectateur qui contemple ce tableau, réalisé selon des techniques traditionnelles séculaires, se trouve emporté dans un souffle de modernité.

Sesshû eu de nombreux élèves, et après sa disparition certains ont créé des écoles et des courants s’inspirant de sa peinture durant les périodes Muromachi et Momoyama. Certains de ces mouvements se perpétuent encore aujourd’hui.

Plus récemment, son influence se fait aussi sentir sur certains peintres occidentaux comme Cezanne entre autres.

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Mireille Amar 

Née en 1951 sur la Côte d’Azur, Mireille suit un parcours scientifique et obtient son diplôme de pharmacienne en 1976.
Toujours attirée par la nature et dotée d’une grande sensibilité, elle accumule au cours des années de nombreuses sensations au cours de promenades et de voyages à travers le monde, dans les airs et sur les mers. Elle s’emplit de l’atmosphère que dégagent les nuages, les embruns, les brumes, le givre, la neige, les senteurs des fleurs portées par le vent de la terre, le chant des oiseaux, la chaleur d’un été, la violence d’un orage.
Naturellement portée vers la culture et les arts Japonais qui donnent une place prépondérante à la nature, sa route se trouve toute tracée lors de sa rencontre avec Robert Faure en Février 2000.
Elle suit son enseignement et obtient en 2018 son diplôme d’enseignant de l’Académie Internationale de Peinture Tchan sumi-e, désirant transmettre à son tour.
Elle souhaite par ses peintures partager avec le public ses découvertes et lui ouvrir la porte vers ses voyages  intérieurs.

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